Premières impressions de la Turquie

La Turquie: ce grand territoire berceau de plusieurs civilisations, terre stratégiquement importante depuis des millénaires, tour à tour source de convoitise des plus grands puis empire assoiffé d’élargissement, un pays à la richesse historique incroyable. Mais aussi, pour le vagabond européen en direction de l’Inde que je suis: Turquie, pont entre l’Europe et l’Asie, début de l’Orient, le vrai!

Traditionnellement, l’arrivée en Turquie pour un voyageur européen en quête de goûts orientaux se fait par la Thrace puis par l’hautement symbolique ville d’Istanbul, porte millénaire entre l’Europe et l’Asie. Soif d’originalité et de fantaisie, j’ai décidé de faire autrement et d’arriver directement dans le pays par le sud-ouest, après une traversée de la Crête, pour pouvoir me taper une des régions d’Europe les plus caniculaire en pleins mois de juillet et d’août. 👌🏻 Mais aussi parce que je trouvais qu’en regardant une carte, passer par l’horizontalement oblongue île de Crête dans un voyage d’ouest en est donnait visuellement bien, tout simplement.

Voyez vous-mêmes. 😃

C’est donc le 5 août que je suis arrivé en Turquie par Marmaris, après un petit trajet en ferry de moins de cinquante kilomètres depuis Rhodes. Pas de quoi être dépaysé: aux premières allures, j’ai l’impression d’être encore en Europe, mis à part quelques étranges tours circulaires verticales dotées de balcons qui ont remplacé dans le paysage urbain les clochers d’églises orthodoxes grecques. C’est que toute la côte, de l’égéenne à la lycienne, est extrêmement touristique et attire les voyageurs de toute la Méditerranée et plus loin encore: Européens, Israéliens, Azerbaïdjanais, Russes, etc. (de ceux que j’ai rencontrés déjà) viennent passer leurs vacances sur cette riviera turque qui est extrêmement développée.

Malgré cet air de familiarité, en longeant à bicyclette à la tombée du jour le premier grand boulevard sur lequel on arrive depuis le port, le soleil couchant de ce nouveau Levant me semblait tout de même différent de ce que j’ai connu ces dernières semaines en Grèce: les derniers rayons qui traversaient le ciel à ras l’horizon effluvaient d’un mystérieux oriental perlant et donnaient à l’air doré du soir une couleur plus douce et chaude, plus mystique, comme si un voile différent recouvrait la fin du jour de ce côté du monde. Simple effet de l’humidité dans l’air peut-être, je souriais tout de même face à cette observation qui me faisait sentir être dans un nouveau monde.

Une des premières choses que j’ai faite à mon arrivée, c’est me rassasier dans une petite gargote locale trouvée sur HappyCow, Meryem Ana. Le serveur m’a rapidement amené devant un buffet placé derrière une vitre d’où cuisinaient et servaient deux femmes à la bonne bouille et à l’apparence de cheffes de cuisine familiale authentique.

Le buffet de Meryem Ana.

Sans encore aucune idée de la cuisine turque, j’ai simplement commandé une assiette végétarienne, et oh que je ne fus pas déçu par ce qui arriva: un véritable petit monde coloré de richesse gustative et nutritionnelle: galettes frites de zucchini, différents légumes sautés, poivrons farcis, épinard et riz. On m’apporta avec cela l’assiette complémentaire de roca, de piment et de tranches de citron, qui fait office de salade accompagnatrice. Sur la table est posée une énorme corbeille remplie de tranches de pain, des couverts emballés dans du plastique, et un bol argenté rempli de carrés de sucre pour ceux qui veulent en ajouter au fameux thé que l’on ne tarde pas à m’apporter avec la bouteille d’eau Nestlé.

Le contenu de ma première cuisine turque.

La suite du début de mon voyage culinaire en Turquie fut tout aussi belle: la nourriture est délicieuse, goûteuse et riche en saveurs. Les différentes plats se mélangent très facilement entre eux, et il est facile de commander plusieurs meze pour composer un repas. Tout ça pour pas cher (3-5 CHF) et, quand c’est dans ces restaurants-buffets, rapidement !

Une autre assiette.

Après Marmaris, j’ai suivi la côte, passant par  Koycegiz, Göcek, Fethiye, Gelemiş, Kaş, Demre, Finike, Olympos et Çıralı jusqu’à la grande ville d’Antalya, d’où je compte m’échapper de la riviera afin de poursuivre mon trajet dans le haut-plateau anatolien par Konya puis Cappadocia.

Ces côtes turques, c’est un terrain montueux à ravir, des montées et des descentes incessantes pour le plus grand plaisir des cuisses et des mollets. Oh oui, donne-moi un peu plus de ce dénivelé. Chaque jour se compose de plusieurs cols de centaines de mètres d’altitude, souvent pour redescendre au niveau de la mer et repartir de plus belle sur ces montagnes russes côtières. Ça fatigue. Et qui plus est, il fait plus chaud qu’en Grèce, et s’ajoute à cela une humidité digne d’un véritable hammam. Des conditions climatiques de pédalage qui ne sont pas des plus faciles. Mais je trouve un certain plaisir dans cette difficulté: une souffrance martyrielle qui se transforme en masochisme à mesure que les conditions deviennent si pénibles qu’il en devient ridicule, et alors, au point où j’en suis, je me dis qu’autant y aller les yeux fermés et ne plus essayer de retenir la peine mais la vivre le cœur entièrement ouvert. Sur la selle, je bois presque une dizaine de litres d’eau par jour, sans jamais devoir aller me vider la vessie ! Voilà une merveille qu’est l’autorégulation thermique du corps. Après quelques minutes de pédalage et pour le restant de la journée, mon t-shirt est si taché de sueur qu’on dirait qu’il n’est plus taché du tout; il a juste pris une nouvelle couleur, un peu moins claire qu’au départ.

Au niveau de la qualité des routes, on n’a rien à se plaindre en tant que cycliste: les routes régionales et nationales sont bien entretenues et comportent toujours une très large bande d’urgence, souvent aussi grande que les voies de circulation, ce qui me donne une part de la chaussée à moi tout seul. Un soulagement après les fameux highways crétois, où les automobilistes roulent par tradition sur la bande d’arrêt d’urgence pour laisser dépasser les conducteurs plus pressés.

Une route régionale typique.

Sur les bords de ces routes, j’ai trouvé un des mes plaisirs salvateurs les plus grands: les jus de fruits frais pressés. 😌 Des fermiers et des vendeurs placent leur étal ou leur roulotte au bord du chemin, grands panneaux écrits à la main indiquant portocal suyu (jus d’orange), süt (lait), miris (mais), etc. Facile donc de se réapprovisionner en aliments de base ou de manger un en-cas sans devoir dévier vers un village et chercher un supermarché. Mais pour moi, ces étals représentent surtout les pauses jus de fruits frais mélangés d’orange et de grenade, souvent cultivés dans un jardin à quelques mètres de la route. Un régal rafraîchissant dont je raffole, pour une ou deux pièces de monnaie seulement.

Devant un stand d’oranges et de produits locaux.

Ces vendeurs de route ont été pour moi le premier témoignage de la conversation turque et ses pratiques afférentes. Le Turc adore passer du temps à socialiser, surtout autour d’un thé, et cela même si la barrière de la langue qui s’érige devant lui paraît impassable. Ainsi, il m’arrive souvent d’être invité avec empressement à m’asseoir. Happé ainsi dans l’emprise sociale de la personne, un échange se met en place, une conversation démarre, mais mon turc est aussi inexistant que leur anglais. Et pourtant, rien ne l’arrête; le but n’est pas de se comprendre, mais en premier lieu de participer à un échange. Beaucoup de gestes, et on enfonce des mots et des phrases, sans qu’aucun des partis ne connaisse même le sujet de discussion de l’autre.

Ainsi, à une occasion, alors que je dégustais mon jus de grenade frais à une table en bord de route, le vendeur s’est assis en face de moi et l’on a conversé pendant plus d’une heure sans se comprendre. Malgré cela, on est tous les deux repartis dans nos directions pleinement satisfaits de l’échange que l’on venait d’avoir. Car ce n’est apparemment pour lui pas que l’information qui se passe par la langue qui est importante, mais tout le reste: les émotions, les gestes, le toucher physique (les Turcs sont extrêmement tactiles), les regards, les rires, etc. En s’aidant d’une feuille de papier, d’un stylo et d’une application de traduction, j’ai cru comprendre qu’il me souhaitait une grande paix intérieure. J’ai appris quelques jours plus tard en demandant à un Franco-turc croisé à Gelemiş que ce vendeur essayait en fait de me dire que sa fille travaillait en Suisse. On y était presque.

Un autre matin, alors que je remballais ma tente au bord du lac de Koycegiz, un fermier à vélo est venu parler avec moi. Son anglais était plus développé, et il m’assenait d’informations locales qu’il répétait quatre ou cinq fois, recommençant à chaque fois que la conversation semblait se terminer, comme s’il ne voulait pas que notre échange meure. Il y avait donc cette usine Coca-cola tout près, où l’entreprise embouteillait de l’eau vendue dans toute la Turquie, ou cette route qui longeait le lac avec vue sur deux petites îles et descendait jusqu’à Dalyan, où l’on retrouvait « very very pensiyon, very very hotel », touristes en masse, et plus loin encore une longue plage de tortues. Là aussi, j’ai dû m’échapper de la conversation, difficilement après plusieurs tentatives, sinon on m’aurait parlé de cette usine Coca-cola une sixième fois.

J’adore cette façon qu’ont les Turcs de rendre un environnement social familial si rapidement. À faire attention tout de même, car ma nature introvertie peut rapidement trouver ces situations oppressantes, d’autant plus que l’espace personnel physique est réduit par rapport à nos propres coutumes: les Turcs aiment se rapprocher beaucoup, se toucher souvent, et on est bien loin de la froideur suisse. À s’adapter !

Au niveau de la langue, il m’arrive souvent en entendant des locaux converser, de soudain croire entendre du coréen. Eh oui, allez savoir. En écoutant la télévision aussi, mon cerveau croit percevoir des bouts de cette langue qui se parle encore bien loin à l’est. J’ai appris plus tard que les deux langues sont classées dans la famille altaïque et qu’elles pourraient avoir une origine commune selon les théories. Bref, le turc reste aujourd’hui une langue bien à elle, et il y a deux avantages pour mieux la comprendre: tout d’abord, elle s’écrit avec l’alphabet latin, et est entièrement phonétique, au grand contraire de notre langue, et il n’y a donc aucune difficulté à la lire ni à la prononcer. Ensuite, une partie de ses mots provient de l’arabe mais surtout, du français ! C’est ainsi plus de quatre milles mots turcs qui sont issus directement du français, suite aux rapprochements entre l’empire Ottoman et la France au XVIIIè siècle, lorsque le français était la langue internationale et que l’élite intellectuelle en a emprunté quelques mots. Ainsi, en marchant dans la rue, on verra des enseignes de kuaför, d’art dizayn, de makiyaj ou de peyzaj. En tant que turist, vous n’aurez pas de problème à trouver un şoför de taksi pour éviter le trafik .Que vous vouliez, pour votre oto ou votre bisiclet, des aksesuar ou aller faire une ekspertiz, vous n’aurez pas de mal à vous y retrouver. Et les soirs, on ira déguster un kokteyl dans un bar à la bonne ambiyans. On remarque que le français se prête bien à cette transcription phonétique, plus que l’anglais par exemple.

Un dernier mot sur un phénomène qui m’a d’abord fortement décontenancé lorsque je rencontre des Turcs. Quand je leur apprends que je viens de Lausanne, la majorité semblent connaître la ville, et même semblent approuver mon origine avec une certaine admiration ou reconnaissance. La culture turque disait-elle qu’il était impoli de ne pas connaître le lieu d’origine de quelqu’un et faisaient-ils semblant de connaître cette petite capitale d’habitude inconnue au monde ? Ou Lausanne est-elle une destination touristique vendue comme incontournable par les agences de voyage turques ? La réponse était plus simple: tous les Turcs ont entendu parler de Lausanne à travers le traité éponyme qui y fut signé en 1923 et qui fit reconnaître l’indépendance de la Turquie, son territoire actuel et marqua le début de la république fondée par Atatürk. Voilà donc nonante-neuf ans que le Père a libéré le pays et lancé la Turquie sur la voie du développement. Deuxième seulement après Allah, Atatürk est vénéré dans toutes les maisons et tous les restaurants, où son portrait est affiché fièrement au mur. L’année prochaine marquera le centenaire de cette date si importante pour eux, une mobilisation festive est donc attendue avec impatience.

Une réponse sur « Premières impressions de la Turquie »

Wow, juste wow
Tes récits sont incroyables et redonnent espoir en l’espèce humaine!
Toi même tu sembles t’être équipé d’une détermination et d un courage que je connaissais pas jusqu’à là, c’est beau à voir!

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