87km, 5h33.
Pag, Nin, Zadar.
Réveillé avant le lever du soleil, je me prépare à partir quand une veille Skoda grise sort de la petite forêt derrière la plage et s’arrête à une vingtaine de mètres de ma tente. En sort quatre gaillards; un grand Croate baraque et trois hommes d’origine arabe aux visages tous défigurés. Ils claquent chacun leur propre portière et ratissent les environs du regard, cherchant visiblement quelqu’un. Je les ignore, je n’ai pas peur mais c’est grâce à ma stratégie de feindre une innocence auquel même la plus grande des bêtes n’oserait s’attaquer. Je me protège dans une pesanteur d’esprit qui n’est, évidemment, qu’image forgée. Ils s’approchent, ils baissent les yeux quand je croise leur regard, sauf le grand, qui me parle rapidement en croate. Je souris et lui dis que je parle l’anglais. Il fait des gestes et un de ses acolytes me montre une capture d’écran d’une vidéo sur laquelle on aperçoit un visage d’homme. Je comprends qu’ils me demandent si je l’ai vu. Je regarde encore l’image quelques secondes, feignant de bien réfléchir… Mmh, « No, sorry », je lui répond. Ils remontent dans leur voiture et s’en vont. Drôle d’échange à sept heure du matin.
Au dessus du village de Pag, jolie vue sur le Velebit.
Après, la route est assez rectiligne. Sur la droite il y a la mer, bleue de beauté et turquoise de calme, avec ses nombreuses îles parsemées ça et là, et à gauche, le Velebit, imposant, rigide, impassable, gardant un monde invisible au derrière, me cloîtrant à la côte méditerranéenne et son paysage rocheux.
Sur les bords de route, il y a des dizaines et des dizaines de grills familiaux, avec à chaque fois un four contenant une ou plusieurs broches, et un panneau de publicité montrant un agneau tordu de la tête au derrière, cuisant lentement, apparemment c’est délicieux, on voit des pères de famille déchiqueter des moutons, arrachant la peau de la bête dans une flaque de sang dont les odeurs remontent jusqu’à ma narine alors que je roule à travers ces villages. Ces mêmes moutons que j’aperçois depuis quelques jours et qui peuplent ces îles, ah, s’ils savaient commencer une révolution contre leur oppresseur.
Au bout de l’île, je fais une pause avant le pont Paški, construit en 1964 durant une période ininterrompue de quatre mois de Bora, qui a sa complétion a modifié le statut de l’île en presqu’île.
Je roule, je roule, j’ai rejoint le continent. Visite rapide du joli village de Nin. Je croise Valentina, une maman qui prend ses deux enfants en photo, lui demande si elle veut que je les prenne tous trois en photo. C’est la sortie sucrerie de fin de semaine des enfants, qui ont reçu un cornet au chocolat, et elle m’en offre aussi un. On discute un peu, son mari a aussi voyagé à vélo et l’année passée et ils ont aussi voyagés en van. Elle m’offre un lit dans leur maison, me disant qu’elle connaît le sentiment quand on est offert un endroit chaud dans pareil situation. J’hésite, elle est très généreuse et gentille, mais il est tôt dans la journée et je voulais visiter Zadar, qui ne se trouve plus très loin. On échange quand même nos numéros et elle me bénit avant de partir. Je continue et arrive bientôt à Zadar. Il y a un salon de massage thaïlandais juste en-dessous de mon appartement et je décide de décoincer mes nœuds musculaires restants. Je suis broyé et marché dessus, contortionné dans des sens dont je ne m’imaginais pas mon corps capable, et ressort dans un état d’esprit détendu et spécial que je n’ai jamais atteinds sans massage. Je me sens flottant et ouvert. Juste en face, il y a un petit restaurant thaïlandais auquel je me pose pour continuer mon voyage exotique. Je prends une soupe et un pad thaï. Je trouve le serveur très amusant, il a des mimiques d’une politesse à la fois exagérée mais honnête qui me font fondre. J’apprends qu’ils sont allemands, la maman a vécu en Thaïlande et a ramené les arts de la cuisine pour ouvrir ce restaurant, dont un fils est le chef et l’autre le serveur. Je reçois trois paquets de nouilles instantanées pour mon voyage et une photo en souvenir.
Après un petit repos dans ma chambre, le soir, je sors me promener. J’entends beaucoup de touristes allemands et anglais. Des parties de la vieille ville sont bien animées, les gens s’amassent autour des bars où jouent souvent de la musique live. Je me promène lentement, j’observe tout le monde crier, s’amuser, boire. Je m’éloigne dans les ruelles plus calmes, puis près de la jetée. Je trouve le fameux orgue marin et la « salutation au soleil, que j’aime beaucoup. Je m’assieds entre d’autres petits groupe et écoute de la musique, du Beethoven. Je me promène encore, toujours lentement. J’explore la vieille ville au fil de mon instinct. Près d’une des portes du mur, je me retrouve sur un monticule avec des escaliers qui semblent être les ruines d’une veille tour de garde. J’y rencontre dans la pénombre des étudiants d’une école des arts et métiers venus sur les îles croates pour une semaine de camp d’étude en croisière. Ils se déplacemt librement sur des voiliers, presque sans connaissance de voile et me content leurs aventures et mésaventures. En contrebas, on aperçoit un bar disco très animé, où les clients plutôt bien habillés dansent et s’amusent. Après la discussion, je descends et observe de l’extérieur un moment, puis demande à un serveur si je peux rentrer avec ma tenue. Je me pose debout, dans un coin du bar, et commande un gin tonic. Je suis seul au milieu de tout ce monde souriant, ouvert si on veut m’approcher, mais cela ne se fera pas, on est tous très bien occupé et accompagné. Je fais simplement une observation sociale, paisiblement, me réjouissant que mes camarades humains prennent tant de plaisir à s’amuser comme cela. Je regarde des groupes venir et repartir. Cette fille qui a l’air de s’éclater comme jamais auparavant, cet homme effeminé dont le visage et la chevelure blonde me rappelle quelqu’un, mais qui ? Juste en face de moi, un autre homme, grand, noir, élégant, chante et danse pour une femme qui a l’air totalement éprise, elle dos à moi, ses mains caressant son visage. Je reste comme ça plus d’une demi-heure, conscient mais non alarmé de la bizzarité de mon comportement, bien heureux de la sérénité dans laquelle je suis. Mon verre terminé, je m’apprête à commencer à songer à partir, lorsque la femme qui se trouve avec l’homme élégant se retourne dans un mouvement de danse, et pendant un bref instant je crois reconnaître le visage. Je nie tout d’abord qu’une telle coïncidence puisse être possible, tentant de me rassurer, mais à mesure d’observation le doute s’abat de plus en plus. Ce n’est pas elle, pourtant si, et un visage de soirée masqué peut confondre, mais pourtant ? Confus, je rejette l’idée, de plus nos regards se croisent et elle ne réagit pas. Mais bientôt elle s’apprête à partir, dit au revoir, et à ce moment, à sa main je reconnais la bague au crapaud, c’est elle, j’en suis certain, et elle s’en va maintenant. Mon visage doit se rigidifier d’une expression cadavérique alors que je prends peur qu’une telle coïncidence puisse s’être produite. Cela fait une demi-heure que, persuadé que je ne connaissais personne dans toute la ville et que j’étais seul, je vacquais à une activité presque étrange, et elle était à moins de trois mètres de moi tout le long. Dérangé par cet accident, je rentre et lui envoie un message sans réponse immédiate.
2 réponses sur « Vendredi 15 avril 2022 »
Les paysages sont magnifiques, ils font rêver! J’adore la photo “texture du Velebit”, une œuvre d’art, elle nous transporte. Tout tes récits me donnent envie de voyager, d’aller découvrir d’autres environs, je me dis que c’est possible, que nos plus grands rêves sont atteignables.
Much love, xoxo ! ❤️
Ha ha merci Alexia!😊 J’ai fait ressortir le relief des montagnes avec un filtre. Sur toute cette route le long des îles on voit le Velebit, qui s’étire, et qui a toujours l’air si impassable et impassible 😃