Vendredi 15 avril 2022

87km, 5h33.

Pag, Nin, Zadar.

RĂ©veillĂ© avant le lever du soleil, je me prĂ©pare Ă  partir quand une veille Skoda grise sort de la petite forĂȘt derriĂšre la plage et s’arrĂȘte Ă  une vingtaine de mĂštres de ma tente. En sort quatre gaillards; un grand Croate baraque et trois hommes d’origine arabe aux visages tous dĂ©figurĂ©s. Ils claquent chacun leur propre portiĂšre et ratissent les environs du regard, cherchant visiblement quelqu’un. Je les ignore, je n’ai pas peur mais c’est grĂące Ă  ma stratĂ©gie de feindre une innocence auquel mĂȘme la plus grande des bĂȘtes n’oserait s’attaquer. Je me protĂšge dans une pesanteur d’esprit qui n’est, Ă©videmment, qu’image forgĂ©e. Ils s’approchent, ils baissent les yeux quand je croise leur regard, sauf le grand, qui me parle rapidement en croate. Je souris et lui dis que je parle l’anglais. Il fait des gestes et un de ses acolytes me montre une capture d’écran d’une vidĂ©o sur laquelle on aperçoit un visage d’homme. Je comprends qu’ils me demandent si je l’ai vu. Je regarde encore l’image quelques secondes, feignant de bien rĂ©flĂ©chir
 Mmh, « No, sorry Â», je lui rĂ©pond. Ils remontent dans leur voiture et s’en vont. DrĂŽle d’échange Ă  sept heure du matin.

Au dessus du village de Pag, jolie vue sur le Velebit.

Velebit depuis la vue sur Pag.
Pag.
Texture du Velebit.

AprÚs, la route est assez rectiligne. Sur la droite il y a la mer, bleue de beauté et turquoise de calme, avec ses nombreuses ßles parsemées ça et là, et à gauche, le Velebit, imposant, rigide, impassable, gardant un monde invisible au derriÚre, me cloßtrant à la cÎte méditerranéenne et son paysage rocheux.

Sur les bords de route, il y a des dizaines et des dizaines de grills familiaux, avec Ă  chaque fois un four contenant une ou plusieurs broches, et un panneau de publicitĂ© montrant un agneau tordu de la tĂȘte au derriĂšre, cuisant lentement, apparemment c’est dĂ©licieux, on voit des pĂšres de famille dĂ©chiqueter des moutons, arrachant la peau de la bĂȘte dans une flaque de sang dont les odeurs remontent jusqu’à ma narine alors que je roule Ă  travers ces villages. Ces mĂȘmes moutons que j’aperçois depuis quelques jours et qui peuplent ces Ăźles, ah, s’ils savaient commencer une rĂ©volution contre leur oppresseur.

Au bout de l’üle, je fais une pause avant le pont PaĆĄki, construit en 1964 durant une pĂ©riode ininterrompue de quatre mois de Bora, qui a sa complĂ©tion a modifiĂ© le statut de l’üle en presqu’üle.

Vue depuis le pont PaĆĄki.

Je roule, je roule, j’ai rejoint le continent. Visite rapide du joli village de Nin. Je croise Valentina, une maman qui prend ses deux enfants en photo, lui demande si elle veut que je les prenne tous trois en photo. C’est la sortie sucrerie de fin de semaine des enfants, qui ont reçu un cornet au chocolat, et elle m’en offre aussi un. On discute un peu, son mari a aussi voyagĂ© Ă  vĂ©lo et l’annĂ©e passĂ©e et ils ont aussi voyagĂ©s en van. Elle m’offre un lit dans leur maison, me disant qu’elle connaĂźt le sentiment quand on est offert un endroit chaud dans pareil situation. J’hĂ©site, elle est trĂšs gĂ©nĂ©reuse et gentille, mais il est tĂŽt dans la journĂ©e et je voulais visiter Zadar, qui ne se trouve plus trĂšs loin. On Ă©change quand mĂȘme nos numĂ©ros et elle me bĂ©nit avant de partir. Je continue et arrive bientĂŽt Ă  Zadar. Il y a un salon de massage thaĂŻlandais juste en-dessous de mon appartement et je dĂ©cide de dĂ©coincer mes nƓuds musculaires restants. Je suis broyĂ© et marchĂ© dessus, contortionnĂ© dans des sens dont je ne m’imaginais pas mon corps capable, et ressort dans un Ă©tat d’esprit dĂ©tendu et spĂ©cial que je n’ai jamais atteinds sans massage. Je me sens flottant et ouvert. Juste en face, il y a un petit restaurant thaĂŻlandais auquel je me pose pour continuer mon voyage exotique. Je prends une soupe et un pad thaĂŻ. Je trouve le serveur trĂšs amusant, il a des mimiques d’une politesse Ă  la fois exagĂ©rĂ©e mais honnĂȘte qui me font fondre. J’apprends qu’ils sont allemands, la maman a vĂ©cu en ThaĂŻlande et a ramenĂ© les arts de la cuisine pour ouvrir ce restaurant, dont un fils est le chef et l’autre le serveur. Je reçois trois paquets de nouilles instantanĂ©es pour mon voyage et une photo en souvenir.

David, Daniel, moi, la maman, une amie Ă  elle.

AprĂšs un petit repos dans ma chambre, le soir, je sors me promener. J’entends beaucoup de touristes allemands et anglais. Des parties de la vieille ville sont bien animĂ©es, les gens s’amassent autour des bars oĂč jouent souvent de la musique live. Je me promĂšne lentement, j’observe tout le monde crier, s’amuser, boire. Je m’éloigne dans les ruelles plus calmes, puis prĂšs de la jetĂ©e. Je trouve le fameux orgue marin et la « salutation au soleil, que j’aime beaucoup. Je m’assieds entre d’autres petits groupe et Ă©coute de la musique, du Beethoven. Je me promĂšne encore, toujours lentement. J’explore la vieille ville au fil de mon instinct. PrĂšs d’une des portes du mur, je me retrouve sur un monticule avec des escaliers qui semblent ĂȘtre les ruines d’une veille tour de garde. J’y rencontre dans la pĂ©nombre des Ă©tudiants d’une Ă©cole des arts et mĂ©tiers venus sur les Ăźles croates pour une semaine de camp d’étude en croisiĂšre. Ils se dĂ©placemt librement sur des voiliers, presque sans connaissance de voile et me content leurs aventures et mĂ©saventures. En contrebas, on aperçoit un bar disco trĂšs animĂ©, oĂč les clients plutĂŽt bien habillĂ©s dansent et s’amusent. AprĂšs la discussion, je descends et observe de l’extĂ©rieur un moment, puis demande Ă  un serveur si je peux rentrer avec ma tenue. Je me pose debout, dans un coin du bar, et commande un gin tonic. Je suis seul au milieu de tout ce monde souriant, ouvert si on veut m’approcher, mais cela ne se fera pas, on est tous trĂšs bien occupĂ© et accompagnĂ©. Je fais simplement une observation sociale, paisiblement, me rĂ©jouissant que mes camarades humains prennent tant de plaisir Ă  s’amuser comme cela. Je regarde des groupes venir et repartir. Cette fille qui a l’air de s’éclater comme jamais auparavant, cet homme effeminĂ© dont le visage et la chevelure blonde me rappelle quelqu’un, mais qui ? Juste en face de moi, un autre homme, grand, noir, Ă©lĂ©gant, chante et danse pour une femme qui a l’air totalement Ă©prise, elle dos Ă  moi, ses mains caressant son visage. Je reste comme ça plus d’une demi-heure, conscient mais non alarmĂ© de la bizzaritĂ© de mon comportement, bien heureux de la sĂ©rĂ©nitĂ© dans laquelle je suis. Mon verre terminĂ©, je m’apprĂȘte Ă  commencer Ă  songer Ă  partir, lorsque la femme qui se trouve avec l’homme Ă©lĂ©gant se retourne dans un mouvement de danse, et pendant un bref instant je crois reconnaĂźtre le visage. Je nie tout d’abord qu’une telle coĂŻncidence puisse ĂȘtre possible, tentant de me rassurer, mais Ă  mesure d’observation le doute s’abat de plus en plus. Ce n’est pas elle, pourtant si, et un visage de soirĂ©e masquĂ© peut confondre, mais pourtant ? Confus, je rejette l’idĂ©e, de plus nos regards se croisent et elle ne rĂ©agit pas. Mais bientĂŽt elle s’apprĂȘte Ă  partir, dit au revoir, et Ă  ce moment, Ă  sa main je reconnais la bague au crapaud, c’est elle, j’en suis certain, et elle s’en va maintenant. Mon visage doit se rigidifier d’une expression cadavĂ©rique alors que je prends peur qu’une telle coĂŻncidence puisse s’ĂȘtre produite. Cela fait une demi-heure que, persuadĂ© que je ne connaissais personne dans toute la ville et que j’étais seul, je vacquais Ă  une activitĂ© presque Ă©trange, et elle Ă©tait Ă  moins de trois mĂštres de moi tout le long. DĂ©rangĂ© par cet accident, je rentre et lui envoie un message sans rĂ©ponse immĂ©diate.

2 rĂ©ponses sur « Vendredi 15 avril 2022 Â»

Les paysages sont magnifiques, ils font rĂȘver! J’adore la photo “texture du Velebit”, une Ɠuvre d’art, elle nous transporte. Tout tes rĂ©cits me donnent envie de voyager, d’aller dĂ©couvrir d’autres environs, je me dis que c’est possible, que nos plus grands rĂȘves sont atteignables.
Much love, xoxo ! ❀

Ha ha merci Alexia!😊 J’ai fait ressortir le relief des montagnes avec un filtre. Sur toute cette route le long des Ăźles on voit le Velebit, qui s’étire, et qui a toujours l’air si impassable et impassible 😃

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