Mardi 29 mars 2022

0km

Venise.

Pris le bus pour Venise. Arrêt de départ convenablement tout près de l’hôtel, et arrivée sur la Piazzale Roma. Je suis le Grand Canal un bout, car je me suis fait un petit plan pour la journée, mais en voyant tout le cirque touristique, je m’éloigne rapidement de la foule et décide plutôt de m’aventurer dans les ruelles plus calmes. Je voulais visiter le musée juif, mais il est en rénovation. J’ai encore ce dilemne entre visiter  les lieux culturelles et historiques, et vadrouiller à ma guise. Je préfère voyager lentement, mais je ressens de l’anxiété en pensant à ce que je rate. Fichu FOMO!

En vadrouillant, je tombe ensuite sur une petite boutique d’artiste, attiré par la vitrine remplie de dessins au stylo et de sketchs de Venise, dont certains sont aussi peints à l’aquarelle. J’y entre et je rencontre le propriétaire, un Brésilien d’origine japonaise qui vit à Venise depuis plus de trente ans. Après des études d’architecture, il est venu en Italie à l’âge de 22 ans, laissant tout derrière lui. Traquenardé durant ses premiers jours à Rome, il se retrouve sans le sous et dort dans les trains ou sur les bancs de gare. Il a toujours un calepin avec lui, où il dessine et tient un journal, qui l’aident grandement à survivre à travers les difficultés. Il se retrouve ensuite à Venise et finit par ouvrir ce petit magasin, qu’il tient comme bureau et d’où il vend ses œuvres. Quand je suis entré, il lisait Macht und Uberleben d’Elias Canetti en italien, et il me parle de la sagesse et la profondeur d’âme de cet auteur. Il me recommande de lire son autobiographie, qui fait quatre volumes. On parle aussi de mon voyage, de son métier, de l’apprentissage d’une compétence telle que le dessin. Vu que j’aimerais aussi apprendre à dessiner depuis l’été passé, il me motive pour dessiner n’importe quoi et acquérir de la pratique, même si c’est sans passer par des cours et des profs. J’ai justement mon cahier à dessin et mes stylos dans mon sac. On parle aussi de saisir le moment, que ça soit par le dessin ou par les sens. Il habite dans le bâtiment à côté, mais décrit comment chaque jour quand il fait le tout petit trajet pour venir dans son atelier, c’est possible de voir et de vivre une infinité de choses différentes à chaque fois. Ça me rappelle presque exactement le concept japonais de ichi go, ichi e, mais il ne connaît pas. On parle aussi de musique, il a commencé le violoncelle à l’âge de 47 ans, quand sa fille a également débuté, pour avoir quelque chose avec lequel se connecter à elle. Il dit que la musique est la plus haute forme d’art, et je corrobore ses dires. Il écoute toutes sortes de styles de musique, mais quand il travaille sur une chose importante, il met souvent les Variations Goldberg de Bach. Tout excité, je lui dis que je les écoute tout aussi souvent, et que je joue même l’Aria et la variation no 13 au piano. Il lance cette dernière sur sa stéréo et on continue la discussion sur fond d’un de mes morceaux préférés de Bach. Il me montre un dessin qu’il a fait en 1995, alors qu’il écoutait les Variations en boucle sur sa cassette, une image qui lui est arrivé spontanément en tête, d’après ce qu’il ressentait en écoutant la musique:

Variations Goldberg, NTK

Il y a quelques mois, un étudiant en Grec qui est passé par son magasin a tout de suite reconnu le dessin comme une métaphore du contrepoint musical, ce qui lui a donné un sentiment d’exaltation concernant son œuvre: l’ancrage de cette pendule, tirée vers le bas par la gravité, droite et solide, qui s’oppose à la vapeur créé, elle chaotique, incertaine, floue, montante en sens inverse. C’est la rigidité mathématique des notes de Bach et le sentiment vaporique, le sublime artistique qui est créé et que l’on ressent à son écoute. Je lui achète l’œuvre ainsi qu’un beau cahier de lignes de musique et de dessins qu’il a créé. Je lui promets de lui écrire à la fin de mon voyage.

J’achète ensuite trois clémentines et m’assieds pour m’entraîner à dessiner des petits objets et formes que je vois. Je passe la journée à sketcher ainsi. Je prends un vaporetto pour Burano. À une demi-heure de Venise, c’est une île qui fait partie de la principauté. Toutes les maisonnettes sont colorées de bleu, jaune, vert, rose, rouge, etc. Je mange une lasagne et, pour la première fois du voyage, écrit dans un journal manuscrit, privé. Oh comme tu m’avais manqué. Je remarque qu’il y a plein (taquinons le lecteur) de choses que je ne peux pas dire sur mon site publique, malgré qu’à la base je voulais être complètement transparent et qu’il n’y ait aucune différence entre les deux. Difficile, de se rendre trop vulnérable.

Je vais ensuite à Torcello, île beaucoup plus calme, dans laquelle j’avance vers une grande tour visible au loin. C’est la Basilica di Santa Maria Assunta et sa tour. Avec l’église et leur petite place, ce sont les seuls vestiges restants de la splendeur qui régnait ici il y a des centaines d’années. La légende populaire dit que plus de 50’000 personnes habitaient cette île durant son âge d’or, et qu’elle était jusqu’au XIVe siècle le centre de la vente de laine pour le royaume vénitien. Avec la dépopulation progressive, les bâtiments fûrent petit à petit abandonnés ou utilisés pour la construction à Venise, et aujourd’hui Torcello compte seulement une vingtaine d’habitants. La végétation y est épaisse et est laissée sauvage. Je sens qu’il y fait un peu plus chaud que sur Burano ou Venise. J’avance sur les petits sentiers, on ne peut pas s’y perdre puisque la tour de la basilique est visible depuis partout. Je repense au geocaching, regarde s’il y a une cache et j’en suis tout près d’une. Excité, je vais à sa recherche, comme au bon vieux temps. Ce que j’adore, c’est que les caches sont souvent placées à des endroits intéressants et sont accompagnées d’une courte description du lieu et de son histoire, ou d’un fait divers relaté. Quand j’étais plus petit, c’est comme ça que je voyagais et découvrais les régions que je visitais. C’était tellement bien, simple et guidé par les locaux indirectement. Je vais essayer de faire ça plus souvent. J’en apprends donc un petit peu sur l’histoire de l’île. Depuis la cache, on voit Burano, au loin, au-delà des lagunes. Je tombe ensuite sur une colonie de fourmis qui traversent le sentier et les observe longuement sous le soleil. Ensuite, retour par vaporetto à Burano puis Venise.

En marchant, il y a mille lieux où j’aimerais m’arrêter et décrire pour saisir l’instant, que ça soit par écrit, en photo ou en dessin. Il y a tant de petits fragments qui jouent aussi richement différemment avec les sens et les émotions. S’il y avait des études et un métier qui s’appelait « saisisseur », je voudrais pour sûr en faire ma carrière.

Je me retrouve à un moment à Piazza San Marco, admire tous les bâtiments qui s’y trouvent, monte la Campanile pour le coucher de soleil, puis revient à la Piazzale Roma en m’arrêtant pour manger une tranche de pizza puis une salade grecque chez La Patatina. Tout très bon. Au restaurant, j’ai pris un petit verre du fruit interdit. Légèrement enivré, j’en veux plus avant de renter, j’ai envie qu’on me déshinibe, je veux changer d’esprit et vivre un autre état de conscience, je veux peux être m’arracher à celui-ci. Je tombe sur un petit bar open-air près d’un parc, qui présente des bouteilles d’alcools alignés. Je demande un cocktail à l’emporter au tenant, il me fait un mélange de gin et de liqueur de pêche à la vodka. Je m’enfonce ensuite a nouveau dans Venise, déambulant dans les étroites ruelles qui zigzagent d’une façon si agéometrique que je m’y perds rapidement. Aux rues vides se dévoile de temps en temps un petit lieu animé; les derniers rires d’un restaurant ou un bar qui commence à s’animer. Je ne m’arrête pas, je sirote ma boisson glacée. J’ai mis les Variations Goldberg dans mes oreillettes, pourquoi a-t-on l’impression qu’elles vont toujours parfaitement bien avec le décor et l’atmosphère, quel que soit le moment où on les écoute? Les églises sans nom défilent, avec tout autant de ponts escarpés. Je chantonne par-dessus la musique, sans que je m’entende par-delà mes écouteurs, supplémentant la voix de Gould. Après une longue balade, je me retrouve par hasard a la Piazzale Roma et prend le bus de retour à Mestre.

2 réponses sur « Mardi 29 mars 2022 »

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