Jeudi 14 juillet 2022

92km, 7h54.

Neochori, Vlacherna, Vytina.

Je suis surpris de me réveiller si tôt vers six heures et demie. Après une vaine tentative de dire au revoir à mes compères de hier soir à travers la toile de leur tente endormie – sans le pouvoir d’écho du tombeau d’Agamémnon, c’était perdu d’avance, je prends le départ sur ma selle au son du deuxième mouvement du Trio pour piano numéro deux de Schubert, qui se marie excellemment avec mon humeur et l’atmosphère du moment.

Aujourd’hui, cheminement vers l’ouest. On s’éloigne de l’Inde, mais à juste titre peut-être, car l’on va visiter les magnifiques montagnes du Péloponnèse, puis rejoindre la mer à l’ouest pour ensuite longer la côte et profiter de la mer et des plages.

Mykines au loin, derrière moi.
L’Arcadie.
Fabuleuses montagnes.
Mykines encore plus au loin.

Je me perds deux fois dans les montagnes et me retrouve sur un faux chemin au milieu des innombrables oliveraies. À tort, j’ai de nouveau fait confiance à Komoot: après un gros dénivelé de neuf cents mètres, le tout dernier tronçon est un sentier de trek sur un col entièrement rocheux presque à la verticale. J’ai dû pousser mon vélo interminablement, pause après pousse après pause, puis finalement abandonner. Contourner la montagne me faisait faire un immense détour de cinquante kilomètres. Mais une autoroute traversait la montagne juste à côté par un tunnel, ce qui semblait être une meilleure solution. J’ai donc attendu et attendu, mais elle n’est jamais venue, cette voiture qui aurait pu me faire passer le tunnel. Après une heure, ou deux, et des va-et-vient que je croyais stratégiques entre les différentes sorties de route et d’autoroute, je décide de modifier mon approche et tente de trouver un véhicule dans le village d’à côté, dont l’accès se fait évidemment, alors que l’on est déjà bien fatigué, par une route au dénivelé qu’on ne décrirait pas comme nul. Les Grecs adorent les pick-up trucks, on en voit partout; idéal pour prendre un vélo. Je suis désespéré. Je suis prêt à payer s’il le faut, je délire peut-être. Mais de toute façon, c’est cramé: le village est mort car c’est l’heure de la sieste. Entre deux et cinq heures, ne pas être dérangé.

Le village endormi de Neochori.

Je retourne donc à mon intersection favorite. Et là, le miracle, il m’apparaît, descendant dans ma direction: deux ouvriers dans une camionnette-remorque. Je les hèle, leur fais les grands yeux, mais ils ne vont pas dans ma direction. Il y avait une chance sur deux. Mais ils me disent de prendre l’autoroute. Est-ce que c’est sûr ? Oui, oui ! Et la police ? Il n’y en a pas ! Bon, on y va alors. Engagement sur l’autoroute, accélération (sur la bande d’arrêt d’urgence). Le trafic est limité à huitante kilomètres par heure pour le tunnel, j’imagine que ça diminue un peu mon risque (car je sais que je n’en reviendrai peut-être pas). Un panneau indique une longueur de mille-quatre-cents mètres. Les bolides foncent en me dépassant sur la gauche. Moi, je suis sur le trottoir d’urgence qui ne fait pas plus de huitante centimètres de large. Je suis stressé, angoissé, excité. L’adrénaline ! Ça pourrait être pire: la route est en pente douce, je glisse, c’est facile. J’arrive au bout du tunnel. À la sortie, une toute petite aire de repos, d’où une route barricadée se détache. Je passe le grillage, route cabossée, bâtiments qui semblent d’origine militaire, yolo. Un peu plus bas, je rejoins une vraie route. Petit cri de soulagement, c’était une aventure.

Fier et content comme un cyprès, c’est comme ça qu’on dit, non ?

Je me trouve donc maintenant sur le haut-plateau arcadien, dans un cirque de montagnes qui délimite un incroyable paysage de champs d’or, de jaune et de vert, et d’où des petits hameaux esseulés font office de gardiens parsemés sur la plaine. Sur les flancs des montagnes, des forêts qui commencent denses à la base et s’essoufflent à mesure qu’elles montent, laissant place au gris de la chair, et parfois même des monastères qui y sont délicatement apposés. J’emprunte des double-voies à travers des prés d’herbe et de fleurs, entre les meules de foin et les troupeaux de chèvres dont les bergers me libèrent le passage.

Troupeau de chèvres.
Montagnes arcadiennes.
Plateau arcadien.
Près de Vytina.
L’horizon est coupé par un dégradé de montagnes qui s’étend jusqu’à loin.

En fin de journée je suis absolument claqué et me retrouve dans le village de Vytina où je prends une chambre dont je suis fier de ressentir le mérite après le périple d’aujourd’hui. En arrivant à vélo, un couple suisse m’avait parlé depuis la terrasse d’un restaurant. Je les rejoins à leur table après m’être douché et ils m’invitent pour le repas. Enseignants retraités, ils ont une maison au sud du Péloponnèse avec leur propre petite culture d’oliviers. Ils m’expliquent le processus de création de l’huile d’olive. J’apprends que la récolte se fait en début d’hiver, souvent en décembre. Leur fille a aussi fait un voyage à vélo en 2015 jusqu’à Singapour avec son copain.

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