Vendredi 20 mai 2022

0km.

Pëllumbas.

À mon réveil, je reste un moment dans la tente à apprécier le calme de la montagne, les sons des animaux et celui du vent sur les arbres. Je descends ensuite jusqu’à la maison pour prendre le petit-déjeuner avec les autres. On attend l’arrivée d’une classe de l’école anglaise de Tirana. Lorsqu’ils arrivent, la douce paisibilité de la maison fait soudain place au boucan énergétique d’une trentaine de gamins surexcités de l’école primaire, qui forment un débarquement abrupt, sautillant dans tous les sens et commençant à grimper à tout ce qu’ils voient: toiles accrochées aux arbres, puits, bancs. C’est des enfants de la ville qui viennent rarement à la compagne: un s’exclame « ils ont même un feu de camp ! » avec une joie inédite, l’autre observe que c’est la première fois qu’elle s’assied dans l’herbe et ne veut pas tacher ses habits. Ilir leur présente le concept général du projet: une éco-maison qui peut accueillir des hôtes et des volontaires pour participer à la vie communautaire et au jardin. Ensuite, partage de la classe en trois groupes qui vont tour à tour suivre Sergei autour du jardin de permaculture, Ilir pour une visite de la maison et finalement Suzy pour la construction de la maison en argile. En premier lieu curieux et intéressés, ils deviennent erratiquement ingouvernables et rétifs, ces petits êtres sont trop plein d’énergie et lorsqu’ils repartent, on est quand même soulagé de ne plus devoir leur donner toute notre énergie et notre attention.

(Photos supplémentaires en attente de validation par l’école)

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Ilir nous invite ensuite tous les six au restaurant du village, où l’on mange un ragoût servi dans un bol d’ardoise accompagné de pommes frites, d’une salade et de petulla, une délicieuse pâtisserie salée frite puis grillée. Après cela, il retourne dans la capitale et reviendra dimanche.

Retour à la maison sous le soleil cuisant qui tape chaque centimètre de peau à découvert. Dans le jardin, Sergei m’explique son parcours dans la technologie de l’information jusqu’à ses quelques mois chez Google à Saint-Pétersbourg d’où il a été viré en 2014 pour des raisons politiques lors de la guerre en Crimée, et sa fuite du pays la même année, depuis laquelle il s’adonne de manière personnelle à l’étude du retour des jeunes dans les endroits ruraux et vers l’agriculture. Il fait ses recherches par ses propres moyens, visitant différents pays et allant chercher l’information directement vers les locaux et comparer les différents phénomènes d’exodes ruraux, publie ses conclusions sur un blog, ainsi que des articles, est reconnu par la communauté académique, tout cela de manière indépendante. On a une discussion à propos des auteurs russes durant laquelle il me donne plusieurs noms à découvrir.

Je me pose ensuite dans le hamac au fond du jardin pour lire, mais mon esprit se sent si bien dans ce milieu que j’ai juste envie de ne rien faire, c’est-à-dire de ne pas bouger tout en procédant à l’exploration de ce que je ressens par les stimulus de mes différents sens. Couché dans la toile comme dans un cocon, je ne vois qu’une partie du monde extérieur, au-dessus de moi, comme par une fissure, et sur un fond uniforme simple de couleur bleue, le vert des branches et des feuilles d’arbres à kakis volettent librement, actionnés par le vent. Je me rappelle que certaine cultures utilisent le même mot pour ces deux couleurs, et pour eux ma scène serait donc des milliers de teintes d’une unique couleur. Un humain dans un tel décor ne peut qu’être serein, les plus profonds soucis disparaissent, balayés par le vent, et le corps entier se gonfle d’une légèreté et ne songe qu’à se reposer. C’est une vie réduite à la simplicité, sans tracas du monde extérieur, presque entièrement indépendante de celui-ci. C’est un beau lieu qu’a créé là Ilir.

Piotrek et moi allons ensuite visiter la grotte. Départ vers dix-sept heures, trois quarts d’heure à travers la forêt avant d’y arriver et de d’y entrer. Elle fait trois cents soixante mètres de long, on a donc emporté nos lampes torches. Sur le sol, on voit un fongus qui brille et scintille à la lumière. Plusieurs insectes qui semblent provenir d’une autre planète. Au centre de la grotte, le sol devient plus glissant, on doit faire très attention à ne pas tomber, et des centaines de chauve-souris volent dans les airs, provoquant par l’accumulation du son de leur déplacement dans l’air un énorme et régulier vrombissement. Le sol et les formations rocheuses sont pleines de boue, en s’accrochant on en a plein les mains, puis on commence à se demander si ce n’est pas des fientes de chauve-souris. Il se trouvera que c’est un mélange des deux. Tout au fond, on éteint nos lampes torches pour quelques secondes. C’est le noir absolu et total, aucune lumière ne parvient jusqu’ici. C’est drôle, en tournant la tête, mon cerveau reconstitue faiblement et partiellement le relief de l’environnement par les souvenirs visuels, et je crois « voir » la grotte. On fait ensuite le chemin inverse pour sortir de la grotte. Au contact du monde extérieur, après avoir passé seulement une petite demi-heure dans un environnement extraordinaire sans couleur ni son, la vue des arbres ressemble à l’expérience psychédélique: le vert et les autres couleurs paraissent sur-saturées, d’une intensité incroyable, le son des oiseaux paraît absurde dans sa beauté. Les sens sont soudainement sur-submergés d’informations et tout paraît d’une beauté hors de ce monde. Depuis la grotte, on descend un long sentier très escarpé pour atteindre la rivière en contrebas. En marchant, on créé des petits éboulements de rochers qui entraînent d’autres cailloux et créent des dangereuses avalanches. Je m’amuse à laisser mon corps être entraîné par la pente puis à me retenir sur les multiples troncs d’arbres en m’y accrochant avec les deux mains et faisant pirouetter mon corps de façon à freiner mon élan. En bas, on met nos maillots de bain pour plonger dans l’eau et remonter un peu la rivière, tantôt à la nage, tantôt en sautillant sur les gros rochers, sans jamais oublier évidemment de crier « parkour » à chaque saut. On remonte ainsi jusqu’à ce qu’il nous soit impossible de continuer, puis on revient en se laissant emporter par le courant. Le soleil se couche bientôt, on remonte donc la pente raide, on partage une orange de récompense devant la cave, puis on revient à la maison juste à temps pour les raviolis préparés par Sofia. En dessert, Marty nous fait des petites verrines de poires et de cerises dans un fond de bozë, une boisson jaune à base de maïs, de noix, de sucre et d’eau, originaire d’Albanie.

Piotrek dans la grotte.
Piotrek durant la rude descente jusqu’à la rivière.
Rivière.
Piotrek qui prépare son ascension.
Piotrek qui grimpe le rocher.
Piotrek tombé à l’eau.
Coucher de soleil au retour.
Raviolis maison préparés par Sofia.

Le blog des recherches de Sergey: sergeydmitriev.medium.com

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