59km, 5h04.
OrebiÄ, Kuna, Brijesta.
Ă mon rĂ©veil, mon froid sâest dĂ©veloppĂ© et relocalisĂ© dans ma gorge, alors que mon nez et mes sinus vont maintenant plutĂŽt bien. DĂ©part Ă vĂ©lo, dernier petit tour des murs de KorÄula, puis je prends le ferry de 11h pour retourner Ă OrebiÄ. Je dois faire la route dâavant-hier en sens inverse: montĂ©e jusquâĂ quatre cents mĂštres au milieu de lâĂźle. Pendant une pause beurre de cacahuĂšte sur pain de seigle, je rencontre deux jeunes Polonais qui font de lâauto-stop, ce sont les vestiges du groupe de lâautre jour. Ils ont fait la fĂȘte au festival et rejoignent maintenant Dubrovnik pour prendre le bus et rentrer. Lâun dâeux en particulier raconte comment cette expĂ©rience de quelques jours seulement lâa changĂ©. Il Ă©tudie lâingĂ©nierie biomĂ©dicale en Pologne et se demande pourquoi il fait ça, criant Ă maintes reprises au « bullshit » que cela reprĂ©sente, quâon Ă©tudie et travaille tous pour lâargent mais quâil ne comprend pas Ă quoi bon. Ils voyagent avec un simple petit sac Ă dos contenant quelques affaires, et ont rĂ©ussi Ă venir jusquâici depuis la Pologne en 59 heures, rien quâen faisant de lâauto-stop. Je lâaime bien car il remet toute sa vie en question et a lâair mature pour son Ăąge.

Je continue ensuite Ă travers les paysages inhabitĂ©s et les milliers dâarbres. Ă Kuna, jolie Ă©glise plantĂ©e au milieu du dĂ©cor.

Je mâen approche, Ă©glise franciscaine paisible. Jâai ensuite une longue descente Ă faire sur lâautre versant de lâĂźle, ce qui veut dire que je suis arrivĂ© Ă un sommet, maximum local du moins, et donc, Ragusa. Je roule, je roule, chaleur torride et transpiration dĂ©goulinante. Je vise le pont de PeljeĆĄac pour rejoindre le pays et monter Ă Mostar sans devoir reprendre lâexacte mĂȘme route ni ferry cette fois-ci. En arrivant vers le pont, zone de chantier plein dâouvriers et dâingĂ©nieurs, je demande si je peux passer, signes approbateurs, ça travaille dur, je continue et lâon me reconfirme que je peux passer. Mais la quatriĂšme fois que je demande, on me dit que ist probiere de passer le pont, mais que si je ne me fais pas voir ni prendre, câest possible de le passer.


Dubitatif, je continue sur la route en chantier, laissant passer les gros camions et les pelleteuses occasionnels. Alors que la circulation devient de plus en plus difficile, je me demande sâil ne faut pas que jâescalade mon sentiment en consternation, car je commence Ă apercevoir des signes placardĂ©s de caractĂšres chinois, puis des Chinois, encore des Chinois, des Chinois Ă foison, et oĂč sont passĂ©s les Slaves ?

Juste avant le pont, un petit cabanon en bord de route, dâoĂč un officier chinois tient une corde de banderoles aux allures chinoises en travers de la route quâil peut soulever pour bloquer le passage, fait office de point de contrĂŽle, et je dois mâarrĂȘter. Les ouvriers chinois me saluent gaiement et amusement, mais lâofficier nâa pas lâair commode, il est comme qui dirait vraiment not amused. Jâessaie de discuter mais Ă chaque fois il me fait un signe de croix avec les bras en dĂ©tournant le regard, quelque peu penaud dâaprĂšs ce que je ressens. Ils ont tous les lettres CRBC sur leur uniforme de travaille. Une voiture puis un camion arrivent Ă ma hauteur, ils veulent aussi passer, et mâexpliquent quâil faut une autorisation, et que mĂȘme avec permission, le gars est difficile de passage. Dans la voiture qui est arrivĂ©e, câest un ingĂ©nieur de construction, il doit se battre et demande au chinois dâappeler son chef, qui lui a donnĂ© lâautorisation. Bref, je comprends que je ne passerai pas. Jâessaie de trouver une solution, je parle aux Croates sur le chantier, ils mâexpliquent quâils sâoccupent de cette partie, le tunnel et la route, et que le pont est gĂ©rĂ© par les Chinois. Le pont est terminĂ©, mais câest, par contrat et lĂ©galement, encore un chantier, un accident qui y surviendrait serait donc au coĂ»t du propriĂ©taire du chantier, et ils ne laissent donc passer presque personne. MĂȘme eux, les ingĂ©nieurs croates, doivent faire un dĂ©tour de plus de presque huitante kilomĂštres pour rentrer chez eux. Je crois que je vais devoir faire pareil. Je vais voir le QG du chantier, demander si câest possible dâobtenir une autorisation, mais tout le monde me dit quâon ne peut rien y faire. SacrĂ©es chinoiseries. Je ne suis pas prĂšs de leur frontiĂšre quâils me refoulent dĂ©jĂ .
Bon, je vais donc remonter lâĂźle et continuer vers le sud, et je verrai demain si je monte quand mĂȘme Ă Mostar, ou si ça fait un trop grand dĂ©tour maintenant. Il y a aussi une trĂšs belle route que je voulais faire qui relie Mostar Ă Dubrovnik. On verra. Pour lâinstant je mâĂ©loigne de ce maudit chantier, accompagnĂ© dâun chien qui me suit sur plusieurs kilomĂštres. On devient vite amis et on sâencourage pour la montĂ©e.

Et allez, pour ce soir, câest fini la comĂ©die: on est un peu malade, mais on ne pas va continuer Ă se payer des chambres en prĂ©textant vouloir un bon sommeil, dâautant plus que câest parfois pire, comme lâont dĂ©montrĂ© les deux nuitĂ©es rĂ©centes. On va donc recamper, dâailleurs ça commence Ă bien nous manquer. Et une nuit dans la nature a plus dâeffets bĂ©nĂ©fiques quâun sĂ©jour dans un parallĂ©lĂ©pipĂšde de bĂ©ton. En descendant la presquâĂźle, je trouve donc une Ă©glise et dĂ©cide de camper Ă cĂŽtĂ©. Monte la tente et cuisine.
Sous ma tente, jâai dĂ©couvert que mon Wikipedia hors-ligne avait par chance une entrĂ©e pour le pont de PeljeĆĄac ! Celui-ci a une histoire gĂ©opolitique fascinante plein de controverses. En fait, le but du pont est de relier la partie extrĂȘme-sud de la Croatie, oĂč se trouve notamment Dubrovnik, au reste du pays. Car aujourdâhui, pour rejoindre Dubrovnik, il faut passer par le territoire de Neum, qui appartient Ă la Bosnie-HerzĂ©govine et qui est son seul accĂšs Ă la mer. Complications donc au niveau des contrĂŽles de frontiĂšres, surtout que la Croatie va bientĂŽt rejoindre lâespace Schengen, condition nĂ©cessaire Ă son entrĂ©e dans lâUnion europĂ©enne qui se fera le 1er janvier 2023. Pour monter depuis Dubrovnik, cela voudrait donc dire trois contrĂŽles: pour sortir de lâespace Schengen, pour entrer en Bosnie, puis pour entrer Ă nouveau dans Schengen. Alors que les contrĂŽles de frontiĂšre bosniennes pour les dĂ©tenteurs de passeport europĂ©en sont rapides, ne nĂ©cessitant quâun rapide coup dâĆil pour vĂ©rifier lâaccord des visages et la date de pĂ©remption, lâentrĂ©e et la sortie de Schengen demande de les scanner et de comparer lâidentitĂ© avec plusieurs bases de donnĂ©es et registres, ce qui peut prendre jusquâĂ trente secondes. Le passage en voiture dâune famille de quatre nĂ©cessiterait donc deux minutes, deux fois, ce qui engendrerait des attentes Ă©normes aux frontiĂšres. DiscutĂ©e depuis 1997, la construction du pont avait commencĂ© en 2007 avant dâĂȘtre interrompue en 2009 pour manque de budget aprĂšs la crise financiĂšre. Nouvelles discussions, lâUE propose de contribuer aux coĂ»ts Ă 85%, et câest cette fois le China Road and Bridge Construction qui gagne lâenchĂšre, et recommence la construction en 2017 pour finaliser le pont en Ă©tĂ© 2021 avec une ouverture publique planifiĂ©e en juillet 2022. Depuis la naissance du projet, la Bosnie sây est opposĂ©, argumentant que le pont empĂȘcherait le passage de ses bateaux trop grands, notamment dans le cas de la construction futur dâun port marchand Ă Neum. Les dĂ©fenseurs de lâenvironnement se sont aussi opposĂ©s au projet Ă cause de la transformation et la destruction de lâhabitat que reprĂ©sente tout le projet. Mais voilĂ , le pont est construit et ouvre cet Ă©tĂ©.
Ă lâextĂ©rieur de ma tente, jâentends une symphonie colorĂ©e de cris dâoiseaux, il y en a des dizaines de toutes sortes. Jâessaie dâanalyser ce que jâentends, de sĂ©parer les sons, les classer pour les compter et voir combien il y en a exactement, mais il y en a tant que câest simplement impossible: ils sâenchevĂȘtrent tel que leur signature sont difficilement dissociables pour un novice tel que moi, mais ils me permettent nĂ©anmoins de mâendormir trĂšs paisiblement.
Une réponse sur « Jeudi 5 mai 2022 »
Tu Ă©tais trop en avance, ouverture fin juillet askip !
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/03/dans-les-balkans-l-union-europeenne-tente-de-contrer-le-soft-power-chinois_6128853_3210.html