Samedi 9 avril 2022

0km.

Pula.

J’ai rêvé que je roulais des joints avec des gens, je n’arrivais pas à trouver les filtres, et lorsque j’ai voulu demander de l’aide aux personnes avec moi, elles étaient toutes endormies sur des canapés, la tête en arrière et les bras ouverts. Puis j’ai entendu un grand bang sec et sourd avant de me réveiller.

J’ai passé la matinée à me reposer et à nettoyer mon sac plein d’huile. Mateo a appris qu’il finirait à 17h aujourd’hui, et m’a aussi dit qu’il allait pleuvoir fort cet après-midi, et j’ai donc décidé de prolonger mon séjour à Pula d’une nuit. À 11h, je sors avec mon sac à dos. En arrivant sur une place vers le centre de la ville, mes oreilles commencent à percevoir de la joyeuse musique folklorique slave. Je m’approche, c’est le jour de marché et un petit groupe de musiciens se déplace entre les étals pour mettre l’ambiance. Toute la place est animée, les vendeurs crient les noms des légumes frais distribués devant eux pendant que je me faufile dans la foule. Ça vend et ça achète à gauche et à droite, les grand-mères remplissent leur cabas, il y a des dégustations de vin et de truffe. Je vais ensuite manger à Kantina, un charmant restaurant qui se trouve au sous-sol dans une cave. Je prends du boulgour aux légumes de saison et aux noix. Le serveur m’offre en entrée un fromage frais à la truffe, que je tartine sur les toasts chauds. Absolument délicieux. J’écris ensuite une lettre, et Vivo per lei est joué sur les haut-parleurs, corroborant le ton de ma lettre.

En ressortant, je passe dans une rue piétonne où je trouve un pianiste qui joue sur un clavier. Il joue du Chopin, du Mozart, du Debussy, du Ludovic Einaudi,… j’arrive même à lui demander un Impromptu de Schubert. D’après la position de ses mains, je devine qu’il est aussi autodidacte. En vrai, je ne sais pas comment il réussit à jouer si bien et avec tant de technique, car ses mains sont affaissées devant le clavier, mais son son est superbe. J’écris encore des lettres sur le bord du trottoir en l’écoutant. Une vieille dame vient et dépose des fleurs et des branches qu’elle a cueillies sur le piano, puis danse sur la musique. Elle me parle ensuite, me dit qu’aujourd’hui elle est complètement libérée et qu’elle fait ce qu’elle veut. Elle a trouvé une nouvelle philosophie de vie qui lui permet d’ignorer ce que les autres pensent d’elle. Apparemment ça marche plutôt pas mal. Quand je lui donne la date de mon anniversaire, elle ferme les yeux, une main au-dessus de moi, et me dit que je dois réussir à renouer mon corps et mon esprit, et que je vis en essayant de plaire à quelqu’un d’autre dans ma vie. Je note scrupuleusement ses conseils, car j’ai toujours pensé que ce genre de personnes qui avaient l’air un peu inhabituelles avaient un don d’intuition pour voir ce genre de choses. Elle me montre des peintures qu’elle a faites. Quand je lui dis que j’aimerais apprendre à dessiner, elle me dit qu’il faut juste apprendre les techniques de base et que tout le reste vient de moi. Merci merci.

Je me promène encore, je vois un glacier et me dit que je n’ai pas besoin d’une sucrerie en ce moment. Je me dis que résister à la tentation, rien qu’une seule fois, est déjà assez difficile, et qu’au final ça ne change rien si toutes les autres fois on succombe. Mais je tiens bon, cette fois je suis le vainqueur. Je vois par contre que le glacier a aussi des milkshakes, m’approche, et avant que je m’en rende compte, j’ai commandé un milkshake à la fraise. Je me dis que c’est bien drôle, j’observe le trottoir de l’autre côté de la route où je viens de me faire la réflexion décrite ci-dessus il y a une dizaine de secondes, et maudis mes récepteurs de dopamine. Je me suis bien fait eu. Et soudain à ma droite je vois une tête que je reconnais, et il y a Mijntje là. On n’arrive pas à y croire, on s’est recroisés dans un autre pays quelques jours après s’être dit au revoir à Trieste. Elle est arrivée en train hier vers la même heure que moi, et tournait aussi autour de l’amphithéâtre hier soir au même moment que moi. Elle devait être une des personnes que j’ai entendues mais pas vues pendant que j’étais couché sur le banc. Incroyable. Elle venait prendre une glace à la cerise, et se dirigeait aussi vers l’amphithéâtre pour le visiter. On y va donc ensemble, plein d’une complicité que le destin nous force à partager. Après un petit tour, on s’assied sur les gradins de pierre et on discute de nos voyages respectifs, de nos études, de nos plans pour le futur, de spiritualité. Je trouve que l’entrée à l’amphithéâtre coûtait un peu trop pour le peu d’information que l’on y a reçu, mais ça valait quand même le tour. On décide ensuite de visiter les galeries souterraines Zerostrasse, sous la vieille ville. Il s’y trouve une expo de l’histoire du tram à Pula, et on peut marcher dans toutes les directions et explorer les tunnels. On entre dans les différentes chambres aujourd’hui vides en s’imaginant à quoi chacune servait. Un ascenseur mène ensuite au château, au-dessus. On se promène sur la muraille, d’où il y a une vue sur toute la ville, l’amphithéâtre, la baie, le chantier naval. Le vent se lève rapidement et on aperçoit une tempête qui s’approche au loin. Des poteaux sifflent et les arbres sont complètement secoués. Je dois ôter ma casquette qui allait s’envoler. L’air est plein d’énergie et on sent que Mère Nature est prête à donner une raclée à l’environnement. Le vent devient de plus en plus fort, on est témoin de la bora dans toute sa puissance. Depuis notre mirador, on aperçoit des énormes nuages de poudre verte être soulevés des arbres et des forêts; c’est le pollen qui est projeté dans l’air. Ça ressemble à un sable fin, et je me fais la réflexion que ce qu’on voit à travers tout le paysage est la nature qui vit, qui échange, sa lente reproduction en action. La scène est magique et me rappelle les paysages d’un Miyazaki.

Mijntje et moi devant la tempête qui s’approche.

On va ensuite rejoindre Mateo qui nous attend au Parc Tito.

Mijntje et Mateo devant la statue de Tito.

Après les rencontres, Mijntje nous dit au revoir, manque de vélo. Je suis Mateo et on roule le long de la Lungo Mare. Le vent redouble de force, on tient à peine en équilibre sur nos vélos. Des bourrasques nous projettent et on manque de tomber, alors que de plus en plus de branche d’arbre commencent à joncher le sol. Mateo me dit que c’est rare de voir la bora aussi forte. Sur une route dégagée, le vent est si fort qu’on fait presque du surplace. En roulant, il me montre les différents endroits où il a grandi et ses coins secrets. On entre dans des caves difficilement accessibles, où étaient cachés les navires de l’empire austro-hongrois. On visite un fort, circulaire pour la défense, et une pyramide abandonnée qui était autrefois un nightclub où il avait l’habitude de sortir.

Un fort austro-hongrois.
L’ancien nightclub.

On s’éloigne ensuite du rivage pour aller à la carrière de calcaire qui a été utilisé par les romains pour construire l’amphithéâtre. Aujourd’hui, deux highline ont été installées à trente mètres de hauteur, d’un bout à l’autre de l’immense carrière, et c’est ici que Mateo vient traîner avec ses amis et les autres slackliners. On s’abrite un moment dans un des trous.

Taillé par les romains il y a 2000 ans.
Mateo qui roule à l’abri.

On monte ensuite au sommet de la carrière, où sont installées les deux highlines, avant de passer dans son appartement tout proche, puis d’aller au restaurant Papillon, qui est apparemment le seul de tout Pula qui sert des pizza à la farine de chanvre. Il commence à pleuvoir, comme ils l’avaient prédit, mais ça dure moins de temps que prévu. Il doit ensuite aller se fournir, et moi je retourne direction le centre ville pour aller à l’ancienne université militaire, où se déroule ce soir une soirée dub-reggae. Popularisé durant les années septante, c’est un sous-genre de musique électronique d’origine jamaïquaine. Lorsque j’arrive, il fait nuit. Il y a seulement une dizaine de personnes, et la musique vient de commencer parce qu’il pleuvait un peu plus tôt. Ils ont installé un mur de stéréos dans la cour intérieur de l’académie, et des deejay mixent devant. J’ai besoin d’aller aux toilettes, on m’indique qu’il y en a dans le bâtiment, mais je n’en trouve pas. Je reprends donc mon vélo et décide d’en chercher aux alentours. Je trouve rapidement un café, demande, c’est tout bon. Mais avant de ressortir, des Croates m’offrent un grappa. Je dois me chauffer pour la fête, j’accepte donc. Ils parlent allemand, on arrive à communiquer, et en apprenant que je vais en Inde, l’un d’eux se prosterne littéralement devant moi, à genou, suivi d’un autre. C’est un peu trop, je n’aime pas ce type d’adulation. Marx nous a averti il y a bien longtemps des dérives de toute forme de vénération d’idoles. Pour moi, la démonstration de ce genre de respect se fait par le regard, simplement, pas besoin de plus. On discute un peu, puis je dois retourner à Rojc et ils m’offrent encore une grande bouteille de bière avant que je ne reparte. Entre temps, Mateo est arrivé. Il connaît plein de personnes, tout le monde est très sympa, échange, discute, il y a des slackliners. De plus en plus de monde arrive, il y a aussi Vittor. On boit des bières, ça roule, ça tourne, ça échange, ça donne. Plus tard, Mijntje nous rejoint. On avait parlé du fait de sortir danser lorsqu’on était à Trieste, elle n’a encore eu l’occasion de le faire si souvent, elle est donc bien contente d’être là. Encore des bières, Mateo me montre une barre sur la table de mixage, quand elle passe à cinq crans c’est que le son a atteint autant de décibels. J’aime beaucoup la musique, l’électronique est ma préférée en soirée, et ici on reconnaît les rythmes si particuliers au reggae. Il y a comme un une basse lente et calme typique du style, mise en évidence, et une mélodie mixée plus rapide par-dessus. On peut danser sur les deux rythmes différents. Mateo a plein de bières dans sa sacoche de vélo. Ça roule de nouveau, sans cesse, ça se passe. Plusieurs fois, on vient me faire une accolade, « C’est toi le Suisse à vélo ? J’ai entendu ». On me demande si j’ai besoin de quoi que ça soit, un endroit où rester, une boisson, autre chose, on veut s’assurer que j’aie tout. Ils sont tous très gentils. Mijntje, des cigarettes dans sa poche. À un moment, on est en train de s’aventurer dans les couloirs du bâtiment tous les deux. C’est la deuxième fois de la journée qu’on se retrouve dans des longs couloirs. On explore, on se perd. On tente d’interpréter les différents dessins sur les murs.

Les couloirs de Rojc à minuit.
On a l’impression de faire de l’exploration urbaine.
On interprète les messages comme on veut.

On se retrouve dehors, on danse, de loin on ressemble à des moustiques attirés par le mur d’où provient le son, gigotant nos corps, tous tournés dans la même direction, on dirait que le but est de s’approcher le plus près possible du mur, certains s’y collent véritablement, c’est alors l’extase. La bière coule à flot, ça roule comme les champs aux meilleurs printemps. Le temps se dissipe, s’évapore, puis nous aussi, c’est la fin de soirée, les lumières s’allument, ou s’éteignent, les bestioles rentrent chez elles.

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