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Trieste.
Alors que jusqu’à maintenant je lavais mes habits principalement à la main, lorsque je le pouvais, j’ai décidé hier soir de faire une machine avec tous mes habits à la fois, profitant d’être dans une auberge de jeunesse qui offre ce service. Avant de me coucher, j’ai donc donné le sac contenant tous mes habits, gardant seulement mes pyjamas pour dormir. On m’avait assuré à plusieurs reprises que tout serait prêt ce matin, et ils étaient au courant que je n’avais pas d’autres habits. Mais à mon réveil, on m’annonce que la machine n’est pas terminée. Un peu choqué, j’annonce mon trouble face à la situation et on m’assure que ce sera bon dans une heure. Je m’occupe donc en pyjama, sale. Après une heure, les habits ne sont toujours pas secs et on me dit d’attendre encore une heure. Je me fâche, scandalisé, et explique à la réception que je ne peux pas commencer ma journée sans habits et que j’aimerais bien pouvoir sortir. Cela fait douze heures que la machine tourne. Une heure après, on me donne mon sac d’habits, encore bien mouillés, en m’assurant qu’ils sont secs et en insistant pour que je paie tout de suite. Je n’arrive pas à y croire. J’essaie de discuter avec le staff, de lui dire que la machine doit être cassée, et de me trouver une solution, mais elle ne fait rien à part me donner un sèche-cheveux. Chose qui arrive très rarement, je ressens une véritable colère envers cette personne. Je me sens pris au piège, emprisonné. Je suis limité par ce que je suis capable de faire en pyjama, honteux de me promener dans les salles communes, et interdit de sortir comme cela en ville pour trouver une solution. Je me sens pris en otage, et c’est une sensation effroyable. On m’a ôté ce qui me permettait de partir et me déplacer librement, et je suis comme en prison, forcé de rester là. Pour un court instant, j’ai cru tout de suite comprendre pour la première fois de ma vie adulte ce que pouvaient ressentir des personnes prises dans de tels pièges, tel qu’un retrait de passeport d’un gouvernement, d’un proxénète ou comme sur un de ces navires de transport de marchandise, dont j’ai entendu des histoires épouvantables, ou des personnes qui sont dépendantes financièrement d’un tiers, que ce soit le partenaire, le parent, ou le patron. Ma situation était évidemment bien moins grave, mais c’était une sensation nouvelle pour moi qui m’a permis de ressentir à quoi cela pouvait ressembler. Je décide de sécher mon pantalon de randonnée au sèche-cheveux et de sortir avec, sans sous-vêtement, et ma doudoune au-dessus de mon t-shirt de pyjama, pour courir à la laverie la plus proche. La responsable est revenue toquer à ma porte, que j’ai ouvert violemment, plein de ma fureur à son égard, et m’a annoncé qu’après avoir appelé sa cheffe, elle s’excusait, me remboursait le prix du lavage, et qu’ils avaient appelé un technicien. Ça m’a tout de suite calmé et empli de compassion pour cette employée, qui devait être débutante dans l’art du l’hospitalité.
En ville, un gars m’a aidé à trouver une bonne laverie, et en lui parlant j’ai appris qu’il était coiffeur. Je suis donc retourné dans son salon pour me faire couper mes cheveux, dont je commençais à perdre le contrôle. Pendant que le linge séchait, j’ai mangé un trapizzino, une épaisse pâte à pizza en forme de triangle et fourrée, ici de sauce tomate à l’aubergine. Le vendeur m’a tout expliqué sur l’origine romaine de ce goûter, et m’a répété plusieurs fois que si j’avais besoin de quoi que ce soit concernant des informations sur quoi faire, il suffisait de demander. Et pendant que je mangeais mon triangle, Giada, une cliente triestenne qui mangeait en face de moi m’a accostée, avec le sourire. Les gens de Trieste sont décidément très sympathiques et accueillants.
Ma journée commence donc véritablement vers 14h. Je me dirige d’abord vers la poste, à vélo, pour chercher mon courrier. Tellement drôle de dire ça dans une ville par laquelle on ne fait que passer ! La poste italienne a la réputation d’être désagréable, mauvaise et lente, j’ai donc un peu d’appréhension et me demande s’ils ont bien gardé ma poste restante. Je dois attendre un petit moment, dans le hall d’un beau bâtiment, avant qu’ils me prennent. À la caisse, on ne parle évidemment pas un seul mot d’anglais et on a déjà l’air fatigué que j’existe. La dame va voir dans une boîte quelles lettres portent mon nom. Je l’observe par dessus le comptoir, excité de savoir ce qu’elle va dénicher pour moi, qui m’a envoyé un message et quel courrier à pu survivre tous les incidents qui auraient pu arriver. Elle revient vers moi, je frémis d’excitation, et elle me donne deux enveloppes. Je reconnais immédiatement les écritures, une de Lucas et une de mes parents !
Je reprends le vélo et vais au Caffè San Marco pas loin, un fameux café historique où venaient passer du temps plein d’écrivains célèbres, dont James Joyce. Le café est beau et chic, et comporte une librairie, où sont également disposées des tables. Plusieurs clients boivent ou mangent, la plupart seuls, lisant un livre ou travaillant sur leur ordinateur. Je prends une soupe à l’asperge et un thé noir chinois, puisqu’ils ont une bonne carte de thés, chose rare en Italie. En buvant, j’ouvre mes lettres et les lis plein d’une satisfaction exhilarante, complètement perché à la fois par l’idée que ces lettres me sont parvenues par poste restante et par leur contenu.
Fort réjoui et reconnaissant envers les expéditeurs, je sors visiter des églises de l’extérieur car elles sont toutes fermées, puis je retourne le vélo à l’auberge de jeunesse pour me rendre au musée Revoltella qui se trouve à côté. Il y a une exposition temporaire sur l’impressionnisme et leur collection d’art moderne, sur six étages. J’apprécie le tour, et je me sens grandement privilégié de pouvoir avoir accès à toute cette connaissance et cette culture.
Deux citations trouvées dans le musée concernant les différences entre la peinture (et le dessin) et la photographie, qui était nouvelle à l’époque, qui m’ont parlé:
« Poetry and progress are two ambitious things that hate one another with an instinctive hatred and when they meet on the same path, one of them has to give way to the other. »
Charles Baudelaire
« There is no method for learning how to draw: through the knowledge of nature, the fruit of long experience, accomplished painters acquire the habit of using certain procedures for rendering what they see. For them instinct remains a surer guide than calculation… Drawing is not reproducing an object as it is but as it appears. »
Eugène Delacroix
Un peu fatigué mentalement par le musée, je prends l’air rapidement puis vais à l’exposition Frida Kahlo, également tout proche. J’avais raté une exposition sur elle à Zurich, et il me semble que c’est la même, c’est donc parfait ! L’exposition se déroule dans un vaste bâtiment au haut plafond qui servait autrefois comme marché au poisson. Il y a d’abord un résumé de la vie de l’artiste, son accident de bus, sa relation complexe avec Diego Rivera, son ami, amant et mari, son activisme, son art, et la fin de sa vie. Puis ils présentent les différents bijoux qu’elle portait et les robes qu’elle a designées. À la fin il y avait une expérience immersive en « 10D », bien plus que j’ai jamais atteint même sous champignon et que j’étais donc curieux d’essayer, mais c’était fortement désagréable et inintéressant. En tout et pour tout, je suis bien satisfait d’avoir vu l’exposition et d’en avoir finalement appris plus sur une forte figure féminine dont j’entendais trop parler sans connaître.
En sortant, il y a un magnifique coucher de soleil, qui a le pouvoir d’immobiliser les promeneurs, qui semblent tous pris par sa beauté. J’ai ensuite envie de manger seul, je trouve une pizzeria et à ma table je fais ce qu’on m’a toujours défendu de faire et j’ai regardé l’assiette de l’autre: une femme à la table à côté avait une pizza qui me donnait horriblement envie, elle avait l’air crémeuse et fromageuse et ses couleurs dansaient entre le blanc de la mozzarella et le rouge de la sauce tomate et un orange mystérieux. J’ai demandé laquelle c’était au serveur: la crema di zucca. Une pizza à la crème de citrouille qui contenait aussi des petits bouts de saucisse. J’ai commandé la même pour goûter la création malgré la viande, et elle était absolument délicieuse. Il faudra que j’essaie de refaire la même. Je fais ensuite une ballade digestive et en suivant mon instinct je me retrouve à la cathédrale de San Guisto, qui n’est pas symétrique car formée de deux autres petites églises regroupées au fil du temps. Je cherche ensuite une gelateria en ville.
Alors que je savoure le dernier gelato de mon voyage, j’apprécie de m’être arrêté à Trieste pour visiter la complexité de son histoire, mais la ville me laisse le même sentiment que j’ai eu après Barcelone; une ville grande et large, riche en histoire et très ouverte sur le monde, mais finalement un peu exténuante, de par son architecture trop droite, propre presque, et pas assez organique – des rues quadrillées en bord de mer avec des bâtiments qui s’élèvent carrefour après carrefour de manière oppressante. Les habitants étaient particulièrement accueillants, curieux, et ouverts, ce que j’ai beaucoup apprécié.
De retour à l’auberge, je m’assieds dans la salle commune pour écrire mon journal puis me couche bientôt.