Mercredi 13 juillet 2022

0km.

Mykines.

Je décide de prolonger mon séjour dans le charmant camping de Mykines. Respiration Wim-hof. Petit-déjeuner de flocons d’avoine. Je répare et nettoie mon réchaud. Aussi, mon matelas gonflable fuie doucement et je suis réveillé au milieu de la nuit avec le dos qui touche le sol. Je cherche le trou, tente la méthode de l’eau savonnée, mais finalement c’est en plongeant le matelas dans la piscine que je localise la petite déchirure. Rustine. Je lave ensuite mes habits et les étends au soleil. Content d’avoir accompli toutes ces tâches. J’écris mon journal. Petite averse passagère.

En fin d’après-midi, je rencontre Jade et Tom, deux enseignants de France. Tom est accompagné de son Pléiade À la Recherche du Temps perdu. Beau petit flex dans un camping perdu au milieu du Péloponnèse. Tous les deux lisent le livre en même temps, ce que je trouve adorable. Ils m’expliquent le fonctionnement du Collège de France puis on parle des différences de fonctionnement des systèmes d’éducation français et suisse. On discute de nos voyages, à propos desquels ils ont chacun une question pertinente: Jade me demande si des personnes me manquent en Suisse, et ma réponse qui requiert je le sens une justification; Tom me demande comment je fais pour me couper les cheveux. On mange ensemble au camping. Je partage avec eux mes déboires concernant l’écriture de mon journal, le temps que ça prend, et la difficulté de la transparence, notamment lorsque ça concerne d’autres personnes, bref tous mes questionnements et mon expérience avec cet exercice que je fais depuis, je le remarque maintenant, quatre mois exactement. Et là, ils m’offrent un éclairage inédit que je n’avais jamais envisagé avant: la véritable délicatesse de l’exercice ne naît pas exactement dans le fait que n’importe qui (et donc les personnes concernées) peut aller lire mon journal et qu’il est donc difficile d’être absolument honnête, mais plutôt dans le fait que l’on peut aller lire le journal trop rapidement après le fait décrit. Si je gardais initialement mes pensées pour moi et que je ne les publiais que bien plus tard (avec par exemple un an de décalage), les personnes concernées me liraient avec plus de légèreté et auraient plus d’indulgence pour mes mots puisqu’ils concerneraient un fait lointain, même si cela parle d’eux. Par exemple, si je décrivais mon appréhension ou mes sentiments pour une personne et qu’elle les lisait le soir-même alors qu’on allait encore passer du temps ensemble, ce serait bien trop bizarre d’avoir autant de transparence dans mes pensées. Mais un an plus tard, lorsque la relation a eu le temps de maturer ou de s’effilocher, le risque de vexation ou d’effroi est bien moindre. Ainsi, le vrai problème de la difficulté d’honnêteté totale et de transparence venait de la fraîcheur trop soudaine de la publication, ce qui rendait l’exercice risqué diplomatiquement. Je leur dis aussi que je me demande de toute façon s’il ne serait pas temps pour un changement de format. Quatre mois de l’exercice m’ont déjà bien apporté et vus la pression que ça me met et le temps que ça me coûte, une évolution du format de publication pourrait peut-être être bénéfique.

Lors de leur visite du tombeau d’Agamemnon, d’autres gens se trouvaient avec eux et ils n’ont pas eu la chance d’explorer l’extraordinaire acoustique de la salle. Je leur propose d’y retourner maintenant et quelques secondes plus tard c’est parti, on a une idée, puis un plan, une équipe d’expédition de trois et une petite dose de bêtise sont tout ce qu’il faut pour s’introduire sans autorisation dans un site Unesco à minuit. Allez, peut-être aussi trois bières que l’on emporte avec nous, qui pourront servir à se désinhiber au besoin et mettre K.O. un potentiel agent de sécurité. Mais rien besoin de tout cela puisque le site est désert. On escalade les barrières et s’offre à nous la grandiose entrée du tombeau.

L’entrée du tombeau d’Agamemnon.

À l’intérieur, décapsulements, chuchotements, silences, claquements, chants tibétains, ameno torine, soufflements dans les bouteilles, cris fantasques, om yogiste et autres sons imaginatifs. Une sorte d’ululement à l’extérieur interrompt nos expérimentations et nous effraie. On met le deuxième mouvement du Trio pour piano numéro deux de Schubert sur un téléphone placé au centre du tombeau.

Étude de l’acoustique.
Expérimentations sensorielles.
Analyse des roches de l’intérieur du tombeau.
Ce grand fou de Tom qui a grimpé le tombeau d’Agamemnon.

Retour ensuite par la sombre rue unique de Mykines, territoire défendu par des chiens errants que l’on affronte à coup de jets de pierres.

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