0km.
Gjirokastër.
Le matin, on s’amuse avec les châtons que la propriétaire de l’auberge a sauvé de la rue: cajoleries, vol dans les airs, biberon de lait. Café Kubè avec Ona l’après-midi. J’essaie d’écrire et de travailler, mais je suis dispersé comme l’abeille devant un champ de fleur trop grand. Je parle avec Ona et feuillette divers bouquins dans leur librairie. Ils ont une édition du Kanun traduite en anglais. Fascinant de lire certains passages.
Quand j’arrive enfin à me mettre au travail, je suis en train de théoriser à Ona que j’ai parfois l’impression que quand j’écris, il y a une sorte d’ironie, même si très profonde et discrète, mais que c’est difficile de me prendre moi-même au sérieux, comme si ce serait trop arrogant de faire cela. Un homme assis à la table à côté, Jordan, m’interpelle et me demande s’il peut me poser une question. J’approche ma chaise et l’écoute, il me parle du pouvoir des métaphores, que parfois, le mot rationnel n’arrive pas à montrer et partager ce que l’on veut vraiment, et qu’une métaphore permet immédiatement de communiquer ce que mille mots n’arriveraient jamais à faire. Il improvise une sorte de poème imagé à la prose et à la couleur qui m’absorbent dans ses paroles. Wow. Il me parle ensuite pour plus d’une heure, me récitant plusieurs beaux contes et histoires imagés, parlant de l’esprit créatif, de la contraction et de l’extension de l’énergie et de tout, et à chaque fois j’attends une sorte de conclusion ou une morale mais il ne semble jamais y en avoir. J’entends son monologue presque comme un koan, ou comme un séduisant mirage qu’on apercevrait au loin, qui apparaîtrait et disparaîtrait dans un mauvais jeu de cache-cache, ne dévoilant jamais l’essence que cache son image. Mais ce n’est pas problématique, même si j’en suis confus. Ce qu’il me raconte est joli. L’idée qu’on est tous une pièce de puzzle, que certains tentent de placer la pièce là où elle n’entre pas, d’autres la mâche, la déchire ou la jette, où arrivent à trouver l’endroit exact où ils sont sensé être, mais qu’au final, il faut voir le puzzle dans son ensemble, pas depuis le simple point de vue de la pièce. Grosso modo, c’est la responsabilité de l’écrivain d’utiliser de puiser dans l’esprit créatif, de rendre le monde de ses lecteurs meilleur et plus positif par ses phrases, de ne pas faire attention à ceux qui nous diraient qu’on est ridicule lorsqu’on se lance dans des expressions excessivement créatives. Il me montre les œuvres d’art qu’il créé à la peinture en m’expliquant la signification des chiffres dans ses œuvres, dans les cultures à travers l’histoire. Je retiens que le chiffre huit est juste incroyable et important.
Ona m’aide à m’échapper de la conversation et on va prendre une glace juste en face; on œillait la machine à l’inscription bio depuis un moment. La glace s’avère délicieuse, au goût yoghourteux de lait de vache. La combinaison de la douce consistance et de la température glacée est parfaite pour nous rafraîchir. On s’assied près du bazaar. J’ai l’impression de planer pour une raison. On achète ensuite des cacahuètes et d’autres snacks avant de retourner à l’auberge et de prendre Mikael, Kate et David avec nous pour une aventure jusqu’au pont d’Ali Pacha, prouesse d’ingénierie dans la région pour le début du XIXè siècle, qui faisait partie d’un grand système d’aqueduc.
On monte dans la vieille ville jusqu’à derrière le fort, puis au-delà de la colline jusqu’à apercevoir le pont.
On le traverse et on continue la ballade jusqu’à des rochers où l’on peut admirer la vallée Drino et les montagnes dont le soleil couchant dessine crûment les reliefs. Apéro.
En redescendant, bergers et leurs troupeaux, des chiens, des ânes, des chevaux, des poules. Un type nous salue et nous invite pour boire du raki chez lui. Salon typique de la période communiste, canapés et fauteuils drapés, télévision, photos de famille, un tapis au sol, une table, pas grand chose d’autre. Il ne parle pas un seul mot d’anglais, on tente de communiquer, lorsqu’on y arrive, c’est les cris de joies et « bravo, bravo », suivi du shot de raki. On comprend que ses enfants sont partis à l’étranger, qu’il est seul ici, que les albanais sont très unis et hospitaliers, qu’il n’aime pas les barbes car elles vieillissent les visages, que la jeunesse est une grande valeur. Ensuite, restaurant Check-In, salade de légumes grillés et qiqti, des boulés de riz. Pendant le repas, mon bras gauche s’engourdit soudainement et j’ai l’impression de perdre conscience quelques secondes, je suis sonné, ça m’a fait paniquer car je ne comprenais pas. C’est l’effet de la chaleur, ou le raki maison, ou mon accident à la tête de hier. Retour à l’auberge, passe du temps au salon puis au lit, je n’arrive pas à m’endormir. J’ai un peu la nausée, je ne me sens pas bien. Ariane me donne de la ravintsara. Je me demande ce qu’il m’arrive.
Page Instagram de Jordan: https://instagram.com/drumreality
Une réponse sur « Jeudi 2 juin 2022 »
[…] dédiées entièrement à mon journal. Mais là encore, l’aventure parfois me saisissait opportunément et je devais alors dédier une nouvelle journée au rattrapage, avec une journée supplémentaire […]