65km, 5h27
Ried-Brig, col du Simplon, Varzo, Crevoladossola, Montecrestese.
PlutĂ´t bien dormi malgrĂ© quelques rĂ©veils durant la nuit Ă cause de l’inconfort. Le temps de plier tente et tout mettre sur le vĂ©lo, je pars Ă 10h. Je dois monter les 24km jusqu’au col du Simplon avec 1300m de dĂ©nivelĂ©s, puis redescendre l’autre cĂ´tĂ© de la montagne jusqu’Ă Domodossola. Il fait beau.
Les premiers kilomètres sont les plus durs et les plus douloureux; je dois me mettre dans le bain, chauffer la machine. Ă€ Ried-Brig, je parle Ă un promeneur, en allemand, qui m’explique que pour monter, il y a l’ancienne et la nouvelle route. L’ancienne est celle construite par NapolĂ©on en 1805, la nouvelle, plus large et plus rapide, est celle qu’empruntent toutes les voitures aujourd’hui. Il me recommande donc l’ancienne, et c’est celle que j’allais suivre d’après mes routes tĂ©lĂ©chargĂ©es.
Je roule avec la vitesse la plus basse, qui a une transmission nĂ©gative: un tour de pĂ©dale Ă©quivaut Ă moins qu’un tour de roue. Obligatoire avec les les 35kg que font mon vĂ©lo, mes bagages, ma nourriture et mon eau. Je n’arrĂŞte pas de calculer diffĂ©rents chiffres concernant mon avancĂ©s: estimation du dĂ©nivelĂ© jusqu’Ă un certain point devant moi, pourcentage du trajet dĂ©jĂ parcouru, nombre de mètres jusqu’Ă la prochaine Ă©tape oĂą je ferai une pause, heure d’arrivĂ©e au sommet, etc. Mon esprit s’occupe comme cela. C’est sa manière de se motiver. Je me dis maintenant que la prochaine fois que tente l’ascension d’un col, je devrais peut-ĂŞtre essayer de faire des exercices de pleine conscience. Je peux quand mĂŞme bien profiter de l’environnement: la vue se dĂ©veloppe lentement, Ă mon rythme.
Je croise un départ de télécabine où montent des skieurs et des snowboarders. Peu après, la route que je suis est bloquée par un tas de neige.
Je ne comprends pas, car la route est censĂ©e ĂŞtre ouverte et lĂ elle est clairement bloquĂ©e par la neige dĂ©placĂ©e. Je dĂ©cide de descendre du vĂ©lo et le pousser Ă travers la neige. Sur 2km, la route serpentante alterne entre un tronçons orientĂ© nord plein de neige, et une partie mieux orientĂ©e dont la neige a fondu. Je croise une dame qui promène ses deux chiens, elle me dit qu’elle n’a jamais vu de cyclistes sur cette route en hiver, et qu’il est interdit de rouler Ă vĂ©lo sur l’autre nouvelle route. Je dĂ©cide de persister dans mon avancĂ©e et de voir si le dĂ©gagement s’amĂ©liore, mais envisage dĂ©jĂ l’Ă©chec et la redescente jusqu’Ă Brig pour prendre le train. Comme cela, j’avance beaucoup trop lentement et je ne suis qu’au quart de la montĂ©e. La route que je suis croise bientĂ´t la nouvelle route, mais on a changĂ© de flanc de la montagne et ici il n’y a plus de neige. Je continue donc. Certains virages dĂ©voilent de nouvelles montagnes. Je vois des bĂ»cherons et ils me disent que je peux continuer Ă vĂ©lo et que je vais bientĂ´t rejoindre la nouvelle route. Espoir! Je mange les restes des restes de bolognese sur le vieux pont construit par NapolĂ©on. On y voit le nouveau Pont Ganter, qui est Ă©norme et relie de manière majestueuse deux montagnes. Juste après cela je rejoins effectivement la nouvelle route. Il n’y a pas tant de trafic que ça, par contre c’est principalement des poids-lourds, venant d’Italie, de Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne,… Je m’arrĂŞte donc sur le bord de la route Ă chaque dĂ©passement, pour plus de sĂ©curitĂ©. Et on a effectivement le droit de faire la montĂ©e Ă vĂ©lo. Les conducteurs de voitures et de camions me font coucou, me montrent du doigt, me regardent amusĂ©s ou m’encouragent par un coup de klaxon.
Il fait lĂ©gèrement plus froid Ă mesure de la montĂ©e, et maintenant il y a de la neige tout autour de la route. Soudain, on aperçoit l’hospice du Simplon, au loin. BientĂ´t lĂ ! Sur la dernière partie, il y a plusieurs tunnels de plusieurs de centaines de mètres de long. Ă€ l’intĂ©rieur, le silence. Puis soudainement, un bruit au loin commence Ă rugir, de plus en plus fort. Un vacarme exceptionnel grandit et s’approche, semblant prendre trop long pour venir Ă moi. C’est les camions, et je sens tout l’air qui vibre et gronde dans le tunnel lorsqu’ils me croisent ou me dĂ©passent. Une expĂ©rience oppressante et intense.
J’arrive finalement au col, l’air est bien plus frais ici. Haletant, je prends quelques minutes pour manger des cacahuètes, un pick-up, du fromage avec des crackers, et, pièce de rĂ©sistance de mon en-cas ad-hoc: une mandarine que j’avais rĂ©servĂ©e comme rĂ©compense spĂ©ciale. La nourriture après l’effort est toujours absolument fantastique. Je m’habille ensuite pour la descente: en supplĂ©ment un legging, une doudoune, une veste coupe-vent, et ma cagoule.
Dans la descente, encore au sommet, plusieurs impressionnants bâtiments qui semblent dĂ©posĂ©s dans la montagne, massifs et propres au milieu de la puretĂ© de la neige blanche. Le cĂ´tĂ© italien est plus ensoleillĂ©, car face au sud, et il y fait plus beau. La vĂ©gĂ©tation est aussi plus verdoyante, bien que plus sèche. Des maisons en ruines jonchent le paysage. Il y a l’air d’avoir plein de promenades Ă faire dans la rĂ©gion, je note qu’il faudra y revenir dans le futur. Ce n’est que de la descente pendant plus de 30km. J’ai les mains autour des freins et roule paisiblement en admirant les montagnes. Je croise un autre cycliste qui vient depuis Berne pour un petit tour d’un après-midi. Il a passĂ© le col en deux heures, moi six. Il reprendra le train depuis Domodossola.
Après environ deux heures de descente, j’arrive dans la vallĂ©e. La vue se dĂ©gage sur une Ă©norme zone plate et ça me fait bizarre de revoir la sociĂ©tĂ© grouillante.
Ici, Ă Crevadossola, tout le plateau est entourĂ© d’Ă©normes montagnes dans toutes les directions. On a l’impression d’ĂŞtre dans le seul monde qui existe, et que les montagnes infranchissables seraient la fin du dĂ©cor; on se sent protĂ©gĂ© de tout ce qui serait derrière.
Je dois traverser ce plateau jusqu’en face. Je crois ĂŞtre bientĂ´t arrivĂ© Ă destination, mais mon hĂ´te habite tout en haut d’un village construit sur une colline. Je dois donc encore faire 200m de dĂ©nivelĂ©! J’arrive finalement dans la rue, mais la maison Ă l’adresse communiquĂ©e est en ruine, et une pancarte vendesi est accrochĂ©e sur la porte. Je fais le tour, et je prends peur en me disant que c’Ă©tait un traquenard pour me faire perdre mon temps. Il fait nuit maintenant, Ă 19h, et je prĂ©voyais de dormir dans un lit douillet et pouvoir me doucher après l’effort d’aujourd’hui. Deux types discutent devant l’Ă©glise Ă quelques mètres, je m’approche et demandent s’ils parlent l’anglais. Ils me rĂ©pondent en français, et m’indiquent la maison d’Emanuela, qu’ils connaissent. Ils ont rĂ©cemment changĂ© la numĂ©rotation, c’est pour ça. Je sonne donc chez Emanuela, qui m’accueille chaleureusement. De la musique que je trouve romantique joue super fort sur la stĂ©rĂ©o du salon. La maison est petite et ancienne, et est dĂ©corĂ©e de plein de couleurs vives et variĂ©es. Je prends tout de suite une douche. Puis on mange ce qu’Emanuela a cuisinĂ©: linguini et pecorino, des lĂ©gumes du jardin (brocoli, chou, carotte) bien cuits avec une sauce soja, puis du fromage local avec du pain. En dessert, elle a prĂ©parĂ© un budino (un pudding) al cioccolato. Je mange avec une joie et une reconnaissance Ă©norme, je n’arrive pas Ă croire qu’elle m’offre tout cela. Pendant le repas, on parle de sa rĂ©cente vie de voyageuse; pendant 5 ans elle a fait plein de voyages frugaux en dĂ©pensant très peu: Ă vĂ©lo comme moi, en van, le chemin de Santiago de Compostelle, du whoofing, workaway,… Elle a commencĂ© Ă voyager comme cela tard dans la vie, après avoir Ă©tĂ© inspirĂ©e par des gens qu’elle a reçu chez elle comme maintenant. On discute aussi de sa maison, son achat, les rĂ©novations, le jardin, tout le projet. Elle se fait du souci car le prix du gaz va augmenter, l’Italie essayant de se dĂ©barrasser du gaz russe Ă cause de la guerre actuelle, et devant donc se tourner vers le gaz amĂ©ricain, bien plus cher. Elle me dit que le coĂ»t de l’Ă©lectricitĂ© a quintuplĂ© ces dernières annĂ©es. Le chĂ´mage a explosĂ© Ă cause de la crise covid, et elle se demande pourquoi ce n’est culturellement pas plus acceptĂ© de travailler Ă 80%, 60%, 40%, comme c’est possible en Suisse. En Italie, c’est soit du 100%, soit du part-time Ă 50%.
Très fatigué, je vais ensuite au lit après avoir écrit un peu dans mon journal. Buona notte!
Aphorisme du jour:
Ça monte… et ça redescend!